Hildegarde de Bingen (1098-1179)

Femme inspirée, femme inspirante

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Statue de bronze de Sainte Hildegarde de Bingen, abbaye de Sainte Hildegarde en Allemagne

Qui n’a pas entendu parler d’Hildegarde de Bingen ? Ne serait-ce que parce que son nom est aujourd’hui utilisé à des fins commerciales autant pour des tisanes, des grains d’épeautre ou des ouvrages de santé naturelle. Considérée par certains comme la première naturopathe de l’histoire, par d’autre comme une grande compositrice, ou encore par l’Eglise comme une théologienne d’exception, Hildegarde apparaît être une source d’inspiration inépuisable. Mais qui était cette femme aux multiples visages que l’on croirait hors du temps ? 

Je vous propose d’apprendre un peu à la connaître, d’explorer son héritage et ses conceptions de la santé. Nous finirons par évoquer ses règles de santé et proposer sa recette phare des gâteaux de la joie. Tout un programme !

Qui était Hildegarde ?

Une enfance plutôt classique pour l'époque

Née en 1098, dans le Saint Empire Romain Germanique, en plein cœur du Moyen-Age, Hildegarde est la dixième fille d’une famille de petite noblesse. En temps que telle, son sort est scellé dès sa naissance : Hildegarde sera offerte à Dieu (1).

Enfant à la santé fragile. On dit d’elle qu’elle préfère la compagnie des animaux à celle des hommes, qu’elle émet des bruits considérés comme bizarres et parle très tard. Il semble qu’elle est reçu des visions très jeune mais n’osa en parler que bien plus tard.

 A l’âge de huit ans, elle est confiée à l’abbesse Jutta de Spanheim, du monastère de Saint Disibod. Elle sera élevée selon la coutume de l’époque, initiée au latin, au chant et à la musique.

Hildegarde jeune jouant dans la forêt. © Film "Vision - Aus dem Leben der Hildegard von Bingen" de Margarethe Von Trotta
La jeune Hildegarde jouant dans la forêt.© Film "Vision – Aus dem Leben der Hildegard von Bingen". de Margarethe Von Trotta
visions Hildegarde De Bingen
La jeune Hildegarde étudiant © Film "Vision - Aus dem Leben der Hildegard von Bingen" de Margarethe Von Trotta.

De la discrète vie de moniale

Une fois majeure, (la majorité d’alors était de douze ans) elle prend le voile de moniale bénédictine et vit une vie ordinaire de recluse, rythmée par la méditation, les taches quotidiennes et les prières. A la mort de Jutta de Spanheim en 1136, elle est élue abbesse. Elle a alors 38 ans et prend la direction de la partie féminine du monastère de Disibodenberg.

A la femme bâtisseuse

Après avoir obtenu le droit de fonder son propre couvent, elle se lance dans la construction de celui de Rupertsberg en 1150. Initialement prévu pour une vingtaine de sœurs, le couvent devient progressivement trop petit. Hildegarde entreprend d’en bâtir un second sur la berge opposée du Rhin en 1165. Ce dernier est le seul encore visible de nos jours et porte le nom de Eibingen. C’est là que reposera son corps (2).

Abbaye d'Eibingen, lieu de vie d'Hildegarde De Bingen
Abbaye d'Eibingen © Karl Heinz Walter Rüdesheim
Hildegarde herboriste et enseignante
Hildegarde préparant des plantes © Film "Vision - Aus dem Leben der Hildegard von Bingen" de Margarethe Von Trotta.

Aussi bien que guérisseuse

Reconnue comme guérisseuse, le peuple vient la consulter au couvent qu’elle dirige ou lui écrit des lettres. Dans ses nombreuses correspondances, elle prodigue des conseils spirituels, médicaux ou échange simplement son amitié. Elle encourage la pureté du corps (choix alimentaires, jeûnes…) et de l’esprit (méditation, prières…). Pour elle, les deux sont intimement liés.

En passant par un rôle politique indéniable

Hildegarde aime la vie, puisqu’à travers elle, c’est Le Créateur qu’elle contemple. Elle s’évertue donc à lutter contre l’hérésie cathare. En effet, pour les Cathares la création est née d’un affrontement entre Dieu (principe du bien) et Lucifer (principe mauvais). La race humaine appartient aux anges déchus. L’esprit est considéré comme bon contrairement au corps qui est vu comme mauvais et source de tentations sensuelles.

Ainsi, elle entretient des correspondances épistolaires avec les grands de son temps (papes, évêques, rois et empereurs) auprès de qui elle s’adresse, parfois vigoureusement, au nom de Dieu pour les sommer de rétablir une foi digne de ce nom.

Elle voyage parfois loin de son monastère (Mayence, Würzburg, Bamberg, Trêves, Metz et Cologne) pour prêcher la parole divine faisant fi de son âge avancé ou encore de sa condition féminine.

mozaïque Hildegarde et esprit saint
Hildegarde écrivant sous l'inspiration divine
Hildegarde visions scivias
Hidegarde recevant l'inspiration de l'Esprit Saint pour écrire ses visions. Miniature extraite du Scivias.

Le tout ponctué de visions

Toute sa vie sera jalonnée de visions sur le thème des mystères de la création et des forces curatives de la nature. D’abord discrète sur ses visions qui l’effraient et jouent avec sa santé, elle écrivit à Bernard de Clairvaux en 1146 pour lui demander conseil. Il estima que ses visions venaient bien de Dieu et refusa d’intervenir dans les ordres que Le Seigneur lui avait donné. C’est ainsi qu’à l’âge de 43 ans, elle se décida à retranscrire ses visions avec l’aide du moine Volmar et de sœur Richardis von Stade dans Scivias, son ouvrage le plus traduit de nos jours.

L’essentiel de sa vie se passe désormais à recevoir et transmettre ce que lui dit la « Lumière vivante » comme elle l’appelle. Le moine Volmar, son confesseur et premier confident, sera son secrétaire jusqu’à sa mort en 1165. C’est lui qui met par écrit l’essentiel des œuvres d’Hildegarde (6).

Un héritage hors du commun

Décédée en 1179, à l’âge de 81 ans (un âge très avancé pour l’époque), elle laisse derrière elle un héritage colossal d’ouvrages théologiques, médicaux, philosophiques, de poèmes, de chants

bible moyen age
Livre du Moyen-Age et ses riches enluminures

Œuvres scientifiques et médicales

  • Physica anciennement intitulé « Livre des subtilités des créatures divines » (1151-1158) : dans ce livre, très complet, elle décrit les vertus médicinales des animaux, des plantes, des minéraux… Elle évoque aussi des animaux de légendes, comme la licorne et le dragon. Elle explique comment soigner avec ces éléments naturels, en faisant des décoctions, des baumes, des tisanes… Elle décrit les éléments (air, eau, terre, feu) puis les métaux et les pierres précieuses.
  • Causae et curae, en français « Les causes et les remèdes », aussi appelé livre de médecine composé.

Œuvres mystiques

Trois grands ouvrages rapportent les visions mystiques d’Hildegarde : 
  • Scivias ou « Connais les voies » (composé en 1151) qu’elle mettra en musique par la suite (Ordo Virtutum).
  • Liber vitae merittorum ou « Livre des mérites de vie » (composé entre 1158 et 1163)
  • Liber operum divinorum ou « Livre des œuvres divines » (composé entre 1163 et 1174)

Œuvre linguistique

A la suite d’une de ses visions, elle inventa aussi une langue parlée d’elle seule appelée Lingua ignota. On ignore le rôle, seul nous reste un glossaire de 1011 mots.
L'homme en Dieu, enluminure du Liber divinorum operum, Hildegarde de Bingen
Hildegarde compositrice
Hildegarde compositrice

Œuvres musicales et poétiques

La musique tient une place très importante dans la vie d’Hildegarde qui considère que « l’âme est une symphonie » (2). Elle est ainsi l’auteure de nombreuses compositions musicales  (Symphonie de l’harmonie des révélations célestes). On lui reconnait plus de soixante-dix chants liturgiques, hymnes et séquences, dont certains ont fait l’objet d’enregistrements récents par des ensembles de musique médiévale notamment l’ensemble Sequentia. 
Elle a aussi composé un drame liturgique intitulé Ordo virtutum (Le jeu des vertus), qui comporte quatre-vingt-deux mélodies et met en scène les tiraillements de l’âme entre le démon et les vertus.
Poétesse d’une grande originalité, elle emprunte le vocabulaire de l’amour courtois comme en témoigne le poème à la Vierge ci-dessous (4).
Hildegarde, poème à la Vierge

Théologienne de renom

En 1147, lors d’un synode à Trêves, le pape Eugène III accorde crédit aux écrits d’Hildegarde et lit lui-même un passage du Scivias.

L’Eglise Catholique lui reconnait une place exceptionnelle dans le domaine de la théologie et de la foi. En effet, le 7 octobre 2012, le pape Benoît XVI lui délivre le titre de Docteur de l’Eglise en raison de son « expérience de compréhension pénétrante de la Révélation divine » et d’un « dialogue intelligent avec le monde ». La voici quatrième femme Docteur de l’Eglise après Thérèse d’Avila, Catherine de Sienne et Thérèse de Lisieux.

En février 2021, le pape François décide qu’elle sera fêtée le 17 septembre (3).

Ses apports dans le domaine de la santé

La médecine d’Hildegarde prend sa source à l’époque médiévale de la médecine des cloîtres avec ses jardins (1). Une époque où l’affluence sur la Route de la Soie permet les échanges de connaissances aussi bien que le commerce des épices…

Une médecine holistique

La thérapeutique hildegardienne se préoccupe de l’homme dans ses trois dimensions (corps, âme et esprit). Elle nous révèle les puissantes forces de vie et de guérison inhérentes à l’âme humaine. Cette vision holistique abordant l’homme dans sa globalité, très proche de la Naturopathie lui vaudra le surnom de « Première naturopathe de l’histoire ». (Surnom à mon sens un peu exagéré si l’on pense à toutes ces « sorcières » anonymes brûlées à l’époque de l’Inquisition qui existaient très certainement depuis l’origine de l’humanité.)

naturopathie
Le cycle des saisons, enluminure du Livre des subtilités des créatures divines

Hildegarde considère que l’homme est dépositaire d’une force verte, « viriditas » en latin, que l’on peut comprendre comme une énergie vitale permettant l’autoguérison.

Issue d’une famille noble et ayant appris le latin au couvent, Hildegarde a eu tout le loisir d’étudier la théorie des humeurs d’Hippocrate et autres textes anciens. Cette théorie recherche dans l’importance et l’altération des liquides organiques (sang, lymphe, bile jaune et bile noire) l’origine de quatre profils (sanguin, lymphatique, bilieux, nerveux).

Complexifiant cette théorie, elle relève deux humeurs principales qu’elle appelle « flegmes » et deux autres secondaires « liqueurs ». Le tout détermine quatre profils légèrement différents de ceux d’Hippocrate (colérique, flegmatique, sanguin, mélancolique).

Une ressemblance avec la médecine ayurvédique

Cela n’est pas sans rappeler la médecine ayurvédique (où les trois doshas, comprenez profils, sont déterminés par la combinaison de deux éléments dominants parmi l’éther, l’air, le feu, l’eau et la terre)… Rappelons nous que nous sommes à une époque d’affluence sur la route de la soie.

La médecine d’Hildegarde, comme l’Ayurveda ou la Médecine Traditionnelle Chinoise est avant tout préventive. Elle cherche à rétablir l’équilibre naturel, ferment de la santé.

Elle évoque aussi à sa façon l’équilibre acido-basique, bien connu de nos jours, et propose de le réguler avec les « aliments de la joie » majoritairement alcalinisant (1).

Selon elle, la santé dépend à :

  • 70% de l’alimentation que l’on préfèrera végétarienne et de saison (où l’épeautre non hybridé et les épices y ont la part belle). Les aliments sont vu comme des remèdes lorsqu’il s’agit de rétablir l’équilibre comme le disait Hippocrate « que l’aliment soit ton médicament ». A noter que ses traitements s’appuient également sur la lithothérapie cf. « Livre des Pierres » dans Physica.
  • 30% de la qualité de l’environnement et des émotions ;
    • la qualité de l’environnement est déterminée par un équilibre entre activité et repos, un sommeil de qualité, des purges régulières (par saignées, ventouses, moxibustions, cures, jeûnes, saunas, marche en nature) ;
    • la gestion des émotions permet de transformer l’énergie négative en positive grâce à l’estime de soi, le lâcher-prise, la paix intérieure, la sérénité, la créativité… Notions reprises de nos jours par le développement personnel.

 

Hildegarde compositrice
Hildegarde composant, vitrail

Les six règles d'or d'Hildegarde (1)

  1. Préférer les remèdes naturels tels que la nature nous les donne depuis sa création : dans tout ce qui est créé sont cachées des « subtilités » secrètes (des énergies pouvant guérir), que nous ignorons tant que Dieu ne nous les a pas révélées. 

  2. Bien choisir ses aliments. Ils seront nos remèdes.

  3. S’accorder tantôt du repos, tantôt de l’exercice physique, pour compenser la perte d’efficacité liée au stress.                                       

  4. Veiller à un bon équilibre entre les phases de sommeil et les phases d’activité, pour la régénération de tout l’organisme (nerfs, articulations et muscles).

  5. Se purger des mauvais sucs dans le corps, dans le sang et dans les tissus conjonctifs. Eliminer les poisons par la saignée, la scarification ou la moxibustion.

  6. Prendre soin de guérir notre âme pour transformer les facteurs de risques somatiques (vices) en énergies curatives (vertus).

La santé féminine à la loupe

Avec Hildegarde, le corps féminin n’est pas en reste ! Elle pose un regard curieux et bienveillant sur lui, ses spécificités et ses souffrances liées à l’accouchement, aux menstruations… (4) Très proche du peuple qui venait la consulter comme guérisseuse, elle n’a pu laisser ces femmes inquiètes sans réponse. Elle a donc cherché à comprendre les problématiques féminines en les étudiants de manière tout à fait moderne, comme le montre son ouvrage médical Causae et curare

On y trouve ses conceptions de la sexualité, de la reproduction, de la conception, aussi bien que des recettes censées apaiser les douleurs féminines.

Selon elle, les menstruations sont une purge fondamentale, un signe de bonne santé. Elle reconnait l’existence d’une libido féminine, allant jusqu’à affirmer dans le Scivias que la jouissance est nécessaire à la femme pour concevoir et que certaines peuvent atteindre l’orgasme «sans le contact de l’homme».

Hildegarde de Bingen explique la conception de l’embryon par un mélange in utéro, de « semence masculine » et d’ « écume féminine » galvanisé par l’amour mutuel des parents. Rappelons qu’à son époque, on ne sait pas encore que les organes de l’homme ou de la femme participent à la conception d’un enfant (5).

L'univers selon Hildegarde
Vision de l'Univers par Hildegarde, Scivias

L'astrologie

Dans un de ses traités astrologiques, elle expose une méthodologie pour déterminer le caractère d’un enfant en fonction du jour de sa conception. Le principe est le même qu’un horoscope, mais la différence repose sur le fait qu’elle fait ses calculs non pas à partir du jour de naissance, mais à partir de celui de la conception, et peut ainsi décliner des personnalités selon les 30 jours lunaires (5). 

Hildegarde herboriste et enseignante

S’il est aujourd’hui connu qu’Hildegarde a puisé son inspiration au sein de nombreux ouvrages grecs et arabes, elle a su leur donner une saveur toute particulière en croisant de nombreux sujets et en les mêlant savamment à la Théologie. De par cette diversité et son originalité, elle a su inspirer à son tour une grande variété de personnes à travers les âges et les conditions sociales.

Inspirée par le divin, son apport dans les domaines musical et la beauté des illustrations traduisant ses visions constituent un trésor précieux, encore accessible aujourd’hui.

J’espère que ce petit aperçu vous aura donné envie d’en savoir d’avantage sur cette femme exceptionnelle.

Je trouve Hildegarde inspirante dans sa conception d’une santé globale associant corps, esprit et âme. J’aime la voir replacer l’humanité au centre de l’Univers, donc reliée à tout, influencée par tout. C’est un enseignement que j’ai moi-même reçu de la Nature : nous sommes si grands et si petits à la fois !  – Elise Poirier

Gâteaux de la Joie, recette d'Hildegarde
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Références

  1. Plantes & Bien-Etre ISSN 2296-9799*n°82*Mars 2021. Consulté le 29/11/2021 puis 13/01/2022.
  2. Les Antigones. http://lesantigones.fr/hildegarde-de-bingen-biographie/. Consulté le 16/01/2022.
  3. Article Croire la Croix. https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Canonisation/Hildegarde-de-Bingen-docteur-de-l-Eglise. Consulté le 20/01/22.
  4. Radio France. Hildegarde von Bingen, 10 petites choses que vous ne savez peut-être pas sur la compositrice du 12e siècle. https://www.radiofrance.fr/francemusique/hildegard-von-bingen-10-petites-choses-que-vous-ne-savez-peut-etre-pas-sur-la-compositrice-du-12e-siecle-9454012. Consultée le 21/02/22.
  5. L. Moulinier. Conception et corps féminin selon Hildegarde de Bingen. 2008. http://www.storiadelledonne.it/wp-content/uploads/2008/12/Moulinier2005.pdf
  6. Hildegarde De Bingen, du Moyen-Age au New-Age, « La grande H. », P. FAUTRIER, L. MOULINIER-BROGI. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=cFNWA0QLIuw
  7. Hildegarde, un Docteur pour notre temps. Conférence donnée par Elisabeth-Marie Touzot, phytothérapeute, praticienne de bilan de vitalité le 7 février 2015. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=uI3VK8zm1mA
  8. Hildegarde de BINGEN, Une Vie, une Œuvre : 1098-1179 (France Culture, 1989). Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=-kf9N7UKzvA
  9. France Inter, 2002. Hildegarde de Bingen, Qui est-elle ? Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=GbxREsByHXo
  10. « Vision » : la vie d’Hildegarde de Bingen. Film. https://www.anais-jeanbaptiste.com/vision-hildegard-von-bingen/